André Herrero : La Dernière Leçon d’un Géant Silencieux du Rugby Français
- Pierre Howard

- 22 nov.
- 4 min de lecture
L’histoire du sport est souvent racontée à travers les éclats d’un stade, les cris des supporters et les victoires gravées en lettres d’or. Pourtant, certains destins prennent une lumière bien différente, celle d’un crépuscule doux et discret, à mille lieues du tumulte médiatique. C’est ainsi qu’André Herrero, l’une des figures les plus intègres et les plus respectées du rugby français, nous a quittés en octobre 2025, dans un silence presque irréel. À 87 ans, cet homme qui avait tant donné à son sport n’a pas eu droit à l’effervescence ou aux hommages nationaux que l’on aurait pu attendre. Cette discrétion, presque douloureuse, interroge : comment une légende peut-elle s’effacer ainsi, sans bruit, comme si le pays n’avait pas vu partir l’un de ses derniers chevaliers du jeu ?
Pour comprendre cette fin paisible et presque effacée, il faut remonter le fil d’une vie marquée par une droiture constante. Sur la table de chevet d’André Herrero, un livre de Jean Giono portait cette phrase soulignée : "Ce n’est pas la force qui fait le héros, c’est la droiture dans le silence." Cette ligne semble être le fil spirituel de son existence tout entière. Né le 28 janvier 1938 à Puisserguier, dans une famille d’immigrés espagnols ayant fui le franquisme, Herrero grandit dans un monde où l’engagement, la dignité et l’effort prenaient racine très tôt. Ces valeurs deviendront le socle de sa personnalité de joueur, de capitaine et plus tard de penseur du rugby.

À 19 ans, il rejoint le RC Toulon, où il deviendra l’une des âmes du club. Deuxième ou troisième ligne, colosse infatigable, André Herrero s’impose par un style unique, mélange de puissance brute et d’intelligence de jeu. De 1963 à 1967, il porte à 22 reprises le maillot du XV de France et participe à la victoire du Tournoi des Cinq Nations en 1967, un souvenir fondateur pour le rugby tricolore. Mais là encore, au-delà des statistiques, c’est sa personnalité qui marque son époque : un joueur libre, profondément attaché à l’éthique du sport, refusant la facilité ou les compromis politiques au sein des institutions.
Son geste le plus marquant hors terrain reste sans doute sa décision radicale de quitter le RC Toulon en 1971 après une finale perdue. Dans un contexte de tensions avec la direction, il claque la porte en emmenant plusieurs joueurs avec lui, un acte rare, presque impensable aujourd’hui, tant il exprimait une forme absolue de fidélité à ses convictions. Il poursuivra sa carrière à Nice, puis reviendra à Toulon comme entraîneur avant de devenir une voix incontournable du rugby, chroniqueur libre, à la fois respecté et redouté pour sa lucidité et sa parole sans artifices.
Puis, lorsque le monde du sport se transforme, devient spectacle, se médiatise à outrance, André Herrero s’éloigne. Non par désintérêt, mais parce que le rugby qu’il aimait, celui de l’effort collectif, de la camaraderie brute et des valeurs chevillées au cœur, semblait se diluer. Il choisit alors une vie plus calme, dans une petite maison de plain-pied à l’ouest de Toulon, près du Mourillon. Une demeure simple, fidèle à son style de vie : pas de luxe, pas de propriétés d’apparat, rien qui ne trahisse ses principes.
Ses dernières années se déroulent dans une sérénité presque bucolique : lectures, longues balades discrètes, discussions avec quelques proches. Il refuse la médicalisation excessive, assume pleinement le passage du temps. Et c’est dans cette même maison qu’il s’éteint dans la nuit du 16 au 17 octobre 2025, assis dans son fauteuil, sans souffrance apparente. Une fin douce, fidèle à l’homme qu’il avait toujours été.
L’étrangeté de son départ réside dans le silence national qui l’a entouré. Aucun flash spécial, aucune cérémonie officielle, aucune retransmission publique. L’hommage le plus rapide viendra de la presse locale, puis des institutions du rugby. Et pourtant, quelque chose choque : comment un homme de son envergure a-t-il pu partir dans une quasi-indifférence médiatique ? La réponse se situe sans doute dans l’évolution du sport lui-même. Herrero incarnait un monde où le sens primait sur l’image, où la parole avait plus de poids que la mise en scène. Dans un univers devenu plus lisse et plus calculé, sa présence, bien que respectée, s’était progressivement effacée des écrans.

Le moment le plus bouleversant aura lieu au stade Mayol : un hommage intime, sans caméras, sans politique, sans discours. Le cercueil, drapé des couleurs rouge et noir du RCT, est posé au centre du terrain. Une centaine de personnes seulement, quelques générations de joueurs, des regards humides, un silence chargé d’émotion. Ce silence-là, loin de l’indifférence, est celui de la gratitude vraie, celle qui n’a pas besoin d’artifice pour dire adieu.
Son héritage matériel est modeste : une maison, des économies simples, des objets de collection, quelques carnets. Pas de testament formel, pas d’empire financier. Mais son héritage moral dépasse de loin ces chiffres. Ses archives personnelles, aujourd’hui conservées par son fils, sont un trésor pour ceux qui cherchent à comprendre l’histoire du rugby et la pensée d’un homme cohérent jusqu’au bout. Son urne repose sous un olivier dans son jardin, selon ses volontés. Pas de monument, pas de marbre, juste la terre, le vent et le temps.
André Herrero laisse l’image d’un héros tranquille, d’un homme qui n’a jamais trahi ses valeurs, même lorsque le monde changeait autour de lui. Il nous rappelle que les légendes ne se mesurent pas en millions ni en expositions médiatiques, mais en droiture, en silence et en traces invisibles qui continuent de vivre dans les vestiaires, dans les récits, dans les consciences.
Il s’est éteint comme il a vécu : humble, digne, et fidèle à lui-même.

















































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