"Ma collègue répète les paroles sans parler français" : comment le loup mal-aimé d’Intermarché est devenu un phénomène mondial
- Théo Ruisseau

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Il était une fois un loup. Un loup solitaire, incompris, regardé avec méfiance, qui a pourtant réussi à accomplir ce que peu de publicités peuvent revendiquer aujourd’hui : toucher le cœur de millions de personnes, bien au-delà des frontières françaises. Dix jours seulement après sa mise en ligne, le spot de Noël d’Intermarché, dévoilé le 6 décembre, s’apprête à franchir un cap symbolique et vertigineux, celui du milliard de vues à travers le monde. Un succès fulgurant, presque irréel, que même ses créateurs n’avaient pas anticipé.
À l’origine, il s’agissait d’un simple film publicitaire de deux minutes trente, pensé comme un conte de Noël moderne. On y découvre un loup que tous craignent, fidèle à sa réputation de prédateur. Pourtant, au lieu de céder à son instinct, il décide d’apprendre à cuisiner des légumes pour se faire accepter par les autres animaux de la forêt et partager avec eux un repas de fête. Une histoire douce, universelle, portée par la chanson "Le Mal-Aimé" de Claude François, qui résonne comme un écho aux blessures invisibles et au besoin fondamental d’être aimé.

Très vite, la vidéo a dépassé le cadre d’une simple campagne de communication. En quelques jours, elle a envahi les réseaux sociaux, franchissant les frontières sans passeport. Dès le mardi 16 décembre, elle totalisait déjà plusieurs centaines de millions de vues. "Nous allons dépasser le milliard d’ici à la fin de la semaine", confiait alors Intermarché à franceinfo, encore surpris par l’ampleur du phénomène.
Réalisé par le studio d’animation montpelliérain Illogic Studios, le film a trouvé un écho inattendu à l’international. Sur YouTube, TikTok ou X, des internautes du monde entier ont commencé à le sous-titrer et à le republier spontanément. La réplique devenue culte, "Je suis un loup, qu’est-ce que tu veux que je mange ?", s’est ainsi déclinée en anglais, en espagnol, en italien, et dans bien d’autres langues encore. Le message, lui, n’avait pas besoin de traduction.
En Allemagne, le loup d’Intermarché est devenu presque familier. Julia, 31 ans, habitante de Berlin, raconte avec amusement : "J’ai reçu la vidéo trois fois en une semaine. Ma collègue répète les paroles, alors qu’elle ne parle pas français." Une anecdote parmi tant d’autres, qui illustre à quel point cette histoire a su dépasser la barrière de la langue pour toucher directement l’émotion.
Selon l’agence Visibrain, spécialisée dans l’analyse des réseaux sociaux, ce rayonnement international est loin d’être anecdotique. "Au cours des sept derniers jours, la campagne a largement circulé en France, mais elle a aussi touché l’international de façon très marquée", explique l’agence à franceinfo. Près de 10 % des messages publiés à propos du film étaient en anglais, contre environ 80 % en français. Sur TikTok, une internaute anglophone avoue avoir fondu en larmes : "Rien de tel qu’une pub de supermarché français avec un loup de dessin animé pour me faire pleurer aujourd’hui."
Chez Intermarché, l’étonnement est palpable. "Au bout de trois jours, 40 % des interactions venaient de l’étranger", glisse le groupe. Depuis, ce chiffre a dépassé les 50 %. Thierry Cotillard, président du groupement Mousquetaires, l’a reconnu sur le plateau du 20 heures de France 2 : "On savait que c’était bon, mais de là à faire le tour du monde… On ne s’y attendait pas."
Face à cet engouement, l’enseigne a décidé d’accompagner le mouvement. Sans renier l’origine française du projet, Intermarché a annoncé la préparation de versions traduites en polonais et en portugais, deux pays où le groupe est solidement implanté avec respectivement 200 et 300 magasins. Une manière d’ancrer encore davantage ce loup dans le quotidien de publics déjà conquis.
La reconnaissance ne s’arrête pas là. Au Royaume-Uni, le Daily Mail a déjà sacré le spot "meilleure publicité de Noël". De son côté, l’entreprise System1, qui mesure l’efficacité émotionnelle des publicités, lui a attribué la note maximale de cinq étoiles. Une performance historique pour une création française, alors que la moyenne des publicités télévisées françaises plafonnait jusqu’ici à 2,4 étoiles.
"Le succès de la dernière publicité de Noël d’Intermarché témoigne du pouvoir du storytelling dans la construction d’une marque", analyse Jon Evans, directeur de System1. Selon lui, le film dépasse largement l’objectif de ventes à court terme pour s’inscrire dans une mémoire collective durable, capable de renforcer l’image de l’enseigne bien après les fêtes.
Partout dans le monde, des artistes se sont approprié le personnage. À Taïwan, au Mexique, au Japon, aux États-Unis, le loup a été dessiné, réinventé, détourné, preuve qu’il est devenu bien plus qu’un simple héros publicitaire. Dans les locaux d’Illogic Studios, à Montpellier, l’équipe vit un véritable tourbillon. "On ne voit plus le jour depuis dix jours", confie Théophile Dufresne, cofondateur du studio. "On a reçu des messages du Canada, vu des articles dans la presse chinoise… Certains de mes collaborateurs ont même reçu des messages venant de Bolivie. C’est absolument dingue."
Enfin, un autre gagnant inattendu émerge de cette histoire : la chanson "Le Mal-Aimé" de Claude François. Plus de cinquante ans après sa sortie, elle connaît un retour spectaculaire sur les plateformes de streaming, avec une hausse de 342 % des écoutes en seulement quelques jours. Comme si ce loup avait aussi réveillé des émotions enfouies, rappelant que certaines histoires, lorsqu’elles sont racontées avec sincérité, n’ont ni âge ni frontière.

















































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