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Pub d’Intermarché : ce que le conte de Noël ne raconte pas vraiment

  • Photo du rédacteur: Pierre Howard
    Pierre Howard
  • il y a 20 heures
  • 4 min de lecture

Il était une fois un loup solitaire, rejeté par les animaux de la forêt à cause de sa réputation de prédateur. À l’approche de Noël, lassé de la solitude, il décide de changer. Il range ses instincts carnivores, découvre les légumes, apprend à cuisiner, pêche du poisson, dresse une grande table et finit par partager un repas chaleureux avec ceux qui le craignaient autrefois. Cette histoire, portée par une animation soignée et une musique chargée d’émotion, a bouleversé des millions de spectateurs à travers le monde. La publicité de Noël d’Intermarché est devenue un phénomène planétaire, frôlant le milliard de vues et suscitant une vague d’enthousiasme rarement vue pour une campagne de grande distribution.



Le film coche toutes les cases du conte moderne : une morale positive, une esthétique douce, un message d’inclusion et une promesse implicite de changement. Réalisée par un studio d’animation français, sans recours massif à l’intelligence artificielle, la publicité a également séduit par son artisanat revendiqué. Les médias se sont emparés de ce succès, multipliant les interviews de Thierry Cotillard, président du Groupement Mousquetaires, maison mère d’Intermarché. Tout semble réuni pour faire de ce loup mal-aimé une mascotte idéale, symbole d’une enseigne attentive aux enjeux de son temps.


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Pourtant, derrière la poésie et l’émotion, le message mérite d’être regardé de plus près. Que raconte réellement ce film de deux minutes trente sur notre manière de nous alimenter ? Faut-il y voir un plaidoyer pour une alimentation plus végétale, à l’heure où les effets de la surconsommation de viande sur la santé et l’environnement sont largement documentés ? Intermarché s’est empressé de dissiper toute ambiguïté. "Ce n’est pas ça le message", a précisé Thierry Cotillard au micro de Franceinfo le 11 décembre. "Le message, c’est qu’on n’exclut personne, c’est le vivre-ensemble." D’ailleurs, le loup ne devient pas végétarien : il pêche du poisson, un détail loin d’être anodin pour un groupe qui est aussi le premier armateur français de pêche fraîche.



À la fin du film, une phrase s’affiche pourtant clairement : "On a tous une bonne raison de commencer à mieux manger." Une promesse forte, presque programmatique, qui interroge sur la cohérence entre le récit et les pratiques réelles de l’enseigne. Dans le conte, le loup découvre les fruits et légumes, s’émerveille de leurs saveurs, apprend à les cuisiner et s’en nourrit avec plaisir. Le changement semble simple, presque évident, et surtout individuel. C’est précisément ce point qui interpelle certaines associations.


Camille Dorioz, directeur des campagnes de l’ONG Foodwatch, reconnaît la douceur et l’efficacité émotionnelle du spot. "Elle est très mignonne, cette pub. La démarche est intéressante", concède-t-il. Mais il nuance aussitôt : le film donne l’impression que tout repose sur un choix personnel, alors que le véritable levier se situe ailleurs. "Ce qu’il faut changer en premier, c’est l’environnement alimentaire : les promotions mises en avant, l’accessibilité des prix, la qualité des produits." Pour lui, la métaphore pourrait être inversée. "Le loup devrait représenter le supermarché, pas le consommateur. C’est le supermarché qui doit changer, c’est lui qui est responsable de ce qu’il vend."



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Car dans les rayons d’Intermarché, comme dans ceux des autres géants de la grande distribution, la réalité est plus contrastée. Foodwatch dénonce régulièrement la place centrale accordée aux produits trop gras, trop sucrés, trop salés et ultratransformés. Une étude publiée en janvier a montré que les produits les moins chers proposés par les grandes enseignes sont aussi ceux qui contiennent le plus de sucre ajouté. Intermarché ne fait pas exception. Ses petits pois en conserve de la gamme premier prix Top Budget contiennent plus de sucre que ceux de la marque Saint-Éloi, pourtant positionnée juste au-dessus. Même constat pour certains cordons bleus. "Est-ce normal de vendre plus de sucre aux personnes qui ont le moins d’argent ?", interroge Camille Dorioz.



Après la publication de cette enquête, Foodwatch a sollicité Intermarché pour demander soit une amélioration de la qualité des produits les moins chers, soit une baisse du prix des produits plus qualitatifs afin de les rendre accessibles au plus grand nombre. Selon l’association, ces demandes sont restées sans réponse. Un silence qui alimente le décalage entre le message inspirant de la publicité et la politique commerciale quotidienne.


Une autre étude, publiée en mai par un collectif de sept associations, pointe également la nature des promotions. Sur huit catalogues promotionnels Intermarché analysés sur une période de deux mois, 64 % des offres concernaient des produits dont la consommation devrait être réduite selon les recommandations officielles. Près de la moitié portaient sur des aliments ultratransformés, et plus d’un tiers sur des produits classés Nutri-score D ou E. Les aliments à privilégier représentaient une part très marginale des promotions, et les produits bio à peine 1 %. Les enseignes justifient ces choix par des impératifs économiques. Dans une lettre adressée aux ministères concernés, elles expliquaient que promouvoir des produits sains ou durables est rarement rentable et peut même entraîner une perte de parts de marché.



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La question des marges alimente aussi le débat. Foodwatch rappelle qu’elle interpelle depuis deux ans les distributeurs sur la transparence, notamment pour savoir si les produits les plus sains ne supportent pas des marges plus élevées. Thierry Cotillard a reconnu que les marges les plus importantes d’Intermarché se faisaient sur les produits frais, sans préciser lesquels. En 2023, l’association Familles rurales avait révélé que les bénéfices du rayon fruits et légumes avaient permis, en 2021, de compenser les pertes d’autres rayons comme la boulangerie.


Ces derniers mois, quelques signaux positifs ont néanmoins émergé, comme l’annonce d’un test visant à retirer les confiseries et snacks trop gras ou trop salés des caisses. Mais là encore, difficile de savoir si cette expérimentation sera généralisée. Interrogé sur ce point, le Groupement Mousquetaires a indiqué ne pas être en mesure de répondre.


En attendant, Intermarché continue de capitaliser sur le succès de son loup mal-aimé. Une centaine de peluches, fabriquées en France et en Europe, seront offertes à des associations pour enfants. Et l’enseigne promet qu’en 2026, la mascotte sera enfin disponible à grande échelle. Le conte, lui, continue de faire rêver. Reste à savoir si, au-delà de l’émotion, il ouvrira la voie à des changements concrets dans nos assiettes.

 
 
 
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