« Si là, il n’y a pas plagiat… » : la publicité de Noël d’Intermarché face aux accusations troublantes d’un auteur jeunesse
- Pierre Howard

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Depuis plusieurs semaines, la publicité de Noël d’Intermarché connaît un succès spectaculaire. Diffusé début décembre, ce court-métrage d’animation a ému des millions de spectateurs en France et bien au-delà, cumulant plusieurs centaines de millions de vues sur les réseaux sociaux. Mais derrière l’enthousiasme et l’unanimité apparente, une controverse est venue troubler la magie. Thierry Dedieu, auteur et illustrateur reconnu de littérature jeunesse, estime que le film s’inspire de manière bien trop appuyée de son album Un Noël pour le loup, publié en 2017 chez Seuil Jeunesse.
L’histoire, dans les deux cas, se déroule dans une forêt enneigée à l’approche de Noël. Un loup, solitaire et rejeté en raison de sa réputation de prédateur, décide de changer son destin. Il se met à cuisiner, prépare une table, allume des bougies, confectionne des cadeaux et tente, par la douceur et le partage, de se rapprocher des autres animaux de la forêt. Ces derniers, méfiants au départ, incarnent cette peur ancestrale du grand méchant loup, figure incontournable de l’imaginaire collectif. Dans l’album de Thierry Dedieu, cependant, l’histoire prend une tournure plus amère : le loup, malgré ses efforts, finit par dîner seul, acceptant sa solitude comme une forme de lucidité morale. Dans la publicité d’Intermarché, au contraire, la fable se conclut sur une note résolument optimiste, le loup étant finalement accepté et célébré autour d’un banquet chaleureux, grâce notamment à sa fameuse tarte végétarienne.

C’est précisément cette proximité narrative et visuelle qui interpelle Thierry Dedieu. L’auteur confie avoir découvert la publicité par hasard, à la télévision, et avoir d’abord été séduit par sa qualité. "Je l’ai trouvée très bien, puis je me suis dit soudainement : mais ce livre, tu l’as écrit", raconte-t-il. Ce sentiment de déjà-vu, qu’il qualifie de "troublant", l’a conduit à s’exprimer publiquement, notamment dans les colonnes de Télérama et du Parisien. Il y pointe une accumulation de ressemblances : la forêt hivernale, la longue table dressée pour un banquet, la tarte posée au centre, les bougies, la symbolique du repas partagé et même la posture du loup, oscillant entre culpabilité et désir de rédemption.
Pour Thierry Dedieu, la question dépasse la simple inspiration. "Si là, il n’y a pas plagiat, je ne vois pas quand est-ce qu’il y a plagiat", affirme-t-il sans détour. L’auteur insiste sur le fait qu’il n’est pas opposé aux réécritures ou aux variations autour de figures classiques, mais qu’il existe, selon lui, une frontière entre hommage et appropriation. Il souligne également une divergence éthique fondamentale entre son œuvre et la publicité. "Je n’ai pas d’annonceur pour m’y obliger. Je suis auteur de livres pour enfants avec une certaine éthique, et on ne se rachète pas une réputation avec une tarte aux poireaux", ironise-t-il, rappelant que la fin volontairement mélancolique de son album faisait partie intégrante de son message.
Depuis ses prises de parole, Thierry Dedieu dit avoir été profondément affecté par les réactions qu’elles ont suscitées. Il affirme avoir reçu de nombreux commentaires agressifs, le qualifiant de "minable", de "chacal" ou l’accusant de chercher à profiter du "buzz" généré par Intermarché. Une violence verbale qui l’a blessé, sans pour autant entamer sa détermination. "Remonté comme une pendule", selon ses propres mots, il envisage désormais une action en justice pour faire valoir ses droits. Dans le même temps, il se dit ouvert à une issue plus apaisée, proposant même à l’agence Romance, à l’origine du film d’animation, de collaborer avec lui sur un projet futur, en tant qu’auteur.

Face à ces accusations, l’agence Romance rejette fermement toute idée de plagiat. Son président-directeur général, Christophe Lichtenstein, affirme que les ressemblances invoquées ne résistent pas à une analyse approfondie. "Le graphisme est clairement très loin du graphisme de son livre", explique-t-il, ajoutant qu’il ne voit aucun plan véritablement comparable entre les deux œuvres. "Un loup, c’est un loup", résume-t-il, invoquant le caractère universel de cette figure narrative.
Intermarché adopte une position similaire. Un porte-parole de l’enseigne rappelle que le loup est un personnage présent dans les contes depuis des siècles, sans auteur identifié ni paternité revendicable. "Le loup est une figure universelle des contes, profondément ancrée dans l’imaginaire collectif", souligne-t-il, avant de regretter que "le succès de cette publicité fasse aujourd’hui l’objet d’une tentative d’appropriation individuelle". L’éditeur Seuil Jeunesse, de son côté, a choisi de ne pas commenter l’affaire.
Pour Thierry Dedieu, le malaise reste entier. Il se décrit comme "la tache" dans une fête que le public ne veut pas voir entachée. "Je ne veux pas gâcher leur fête. Je retourne à mes petits crayons", confie-t-il avec amertume, avant de conclure par une réflexion désabusée : "Nous entrons dans un monde libre de droits". Entre hommage involontaire, inspiration légitime et possible plagiat, l’affaire soulève une question délicate : où s’arrête l’imaginaire collectif et où commence le droit d’auteur, à l’heure où les images circulent plus vite que jamais ?

















































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