Bad Apples : Saoirse Ronan captive d’une comédie noire savoureuse au TIFF 2025
- Pierre Howard

- 7 sept.
- 4 min de lecture
Le Festival international du film de Toronto 2025, qui célèbre cette année sa 50e édition, n’a pas manqué d’offrir son lot de surprises. Parmi elles, Bad Apples, présenté en avant-première mondiale dans la section Special Presentations, a rapidement attiré l’attention. Réalisé par le Suédois Jonathan Etzler et écrit par Jess O’Kane, le film met en vedette Saoirse Ronan dans un rôle inattendu : celui d’une enseignante bien intentionnée qui finit par séquestrer un élève turbulent dans sa cave. Une intrigue aussi improbable que réjouissante, qui confirme la vitalité du cinéma de comédie noire et démontre à quel point Ronan peut briller dans des registres encore inexplorés.

Au départ, Bad Apples ressemble à une chronique scolaire comme tant d’autres. Marie (Saoirse Ronan), enseignante dévouée, tente d’insuffler à ses élèves le goût des mots et de la musique en analysant les paroles de Rickie Lee Jones. Mais face à une classe dissipée et à Danny (Eddie Waller), un enfant de dix ans ingérable, le cours vire rapidement au chaos. Quand Danny devient violent, allant jusqu’à blesser une camarade, Marie perd patience. Ce qui pourrait rester une banale confrontation pédagogique prend alors un tournant insensé : lors d’un orage, elle enlève Danny et le séquestre chez elle.
Ce postulat, difficilement crédible dans la réalité, devient ici le ressort d’une farce noire savamment orchestrée. Le spectateur, d’abord désarçonné, comprend vite qu’il s’agit d’une satire où l’exagération est la règle du jeu. À mesure que Marie garde Danny enfermé, la situation se complexifie, oscillant entre drame psychologique et comédie absurde.

L’une des grandes forces du film réside dans la performance de Saoirse Ronan. Connue pour ses rôles dramatiques (Lady Bird, Brooklyn, Little Women), l’actrice irlandaise surprend par sa retenue comique. Elle évite toute surenchère et incarne une Marie fragile, dépassée mais étrangement attachante. Ce décalage entre le sérieux de son interprétation et la folie de la situation crée une tension comique irrésistible.
Face à elle, Eddie Waller, jeune acteur non professionnel découvert dans le nord de l’Angleterre, se révèle une révélation. Sa spontanéité et sa rage contenue confèrent à Danny une crédibilité troublante. Quant à Nia Brown, qui incarne Pauline, camarade blessée mais manipulatrice, elle vole la vedette dans plusieurs scènes, notamment lorsqu’elle négocie son silence face à Marie.

Au-delà du rire, Bad Apples pointe du doigt plusieurs failles de notre société. L’éducation, la solitude des enseignants, l’absence de certains parents et la tendance à marginaliser les enfants « difficiles » constituent le terreau de cette histoire. En caricaturant à l’extrême la situation — une enseignante qui kidnappe son élève —, Jonathan Etzler force le spectateur à s’interroger sur les solutions que notre système met (ou ne met pas) en place face à l’échec scolaire.
Le film évoque également, de façon sous-jacente, le besoin de reconnaissance et la pression qui pèse sur les enseignants. Une fois Danny absent, les résultats de la classe s’améliorent, Marie est applaudie, et la société semble se satisfaire de cette disparition mystérieuse. La morale implicite est glaçante : et si le problème, plutôt que d’être résolu, était simplement effacé ?

Jonathan Etzler, lauréat d’un Student Academy Award, confirme ici son talent. Sa réalisation joue en permanence sur le contraste entre réalisme et exagération. Les scènes de classe, filmées de manière quasi documentaire, renforcent la crédibilité du cadre initial. Mais dès que Marie franchit la ligne rouge, le film glisse dans une esthétique plus stylisée, avec des jeux de lumière accentuant l’étrangeté de la situation.
Le montage, nerveux, permet de maintenir le spectateur dans un état de surprise constante. Les ruptures de ton — une scène dramatique suivie d’un gag visuel ou d’un dialogue absurde — traduisent une maîtrise du tempo comique rarement vue dans un premier long-métrage de cette ampleur.
Bad Apples s’inscrit dans une tradition de comédies noires qui osent traiter de sujets sensibles par l’absurde. On pense aux films des frères Coen, à l’humour grinçant de In the Company of Men ou encore à certaines satires britanniques comme The Death of Stalin. Mais Etzler ajoute une touche personnelle, ancrée dans une réalité éducative universelle.
Le film dialogue aussi, de façon implicite, avec une longue histoire de drames scolaires au cinéma, de Blackboard Jungle à Dangerous Minds. Là où ces films prônaient une rédemption par l’effort et la compréhension, Bad Apples choisit la voie de la provocation et du grotesque, questionnant le spectateur sur ses propres attentes narratives.
Présenté à Toronto, le film a déclenché des rires nerveux et des applaudissements nourris. Certains spectateurs se sont avoués déroutés par la noirceur du propos, mais la plupart ont salué l’originalité et le courage du projet. Paramount, via sa filiale Republic Pictures, cherche actuellement un distributeur, et tout laisse à penser que le film trouvera rapidement preneur, tant il réunit qualités artistiques et potentiel commercial.
Il ne serait pas surprenant que Bad Apples suive le même chemin que d’autres comédies noires acclamées en festival, avec une sortie en salles accompagnée d’une campagne critique enthousiaste. Pour Saoirse Ronan, ce rôle pourrait ouvrir une nouvelle phase de sa carrière, en démontrant sa capacité à briller dans des registres inattendus. Quant à Eddie Waller, il a toutes les chances d’être courtisé par de nouveaux projets après ce baptême du feu impressionnant.
Avec Bad Apples, Jonathan Etzler signe un film audacieux, qui jongle avec l’humour noir et l’angoisse morale pour livrer une satire aussi troublante qu’hilarante. Soutenu par une Saoirse Ronan en état de grâce et par une distribution prometteuse, le film démontre que le Festival de Toronto reste une pépinière de découvertes cinématographiques capables de bousculer les genres.
En définitive, Bad Apples n’est pas seulement une comédie noire réussie : c’est aussi une réflexion acide sur notre rapport à l’éducation, à la discipline et à l’autorité. En sortant de la salle, on rit encore, mais un rire teinté de malaise — preuve que le cinéma, lorsqu’il ose, peut encore nous secouer.


































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