Henri Salvador a trouvé le bonheur avec une épouse de quarante ans sa cadette, marié à la suite d’une tragédie, mais sans jamais vraiment être un père modèle…
- Auriane Laurent

- il y a 6 jours
- 4 min de lecture
Henri Salvador – L’homme de la joie et des zones d’ombre jamais révélées
Plus de dix-sept ans après sa disparition, le nom d’Henri Salvador continue de susciter une tendresse particulière dans le cœur du public français. Artiste aux mille visages, il a offert au monde des mélodies légères, ensoleillées et pleines d’esprit. De « Syracuse » à « Une chanson douce », de « Zorro est arrivé » à « Jardin d’hiver », sa voix chaude résonne encore dans les cafés parisiens, sur les ondes ou dans la mémoire de ceux qui ont grandi bercés par ses chansons.
Mais derrière le sourire éclatant, le charme et la désinvolture du crooner, la vie d’Henri Salvador fut traversée par des zones d’ombre, par des blessures intimes qu’il a su dissimuler sous le rire et la lumière de la scène.

Catherine Salvador – sa dernière épouse et âme sœur – l’appelait tendrement « p’tit bonhomme ». Deux ans après sa mort, l’appartement douillet de la Place Vendôme – unique demeure privée au milieu des bijouteries de luxe – est resté intact, comme si Henri allait revenir d’un instant à l’autre.
Ancienne directrice de programme à RMC, Catherine se souvient de leurs jours heureux :« Nous vivions 24 heures sur 24 ensemble : lui au studio, moi devant mon ordinateur. Puis nous cuisinions, jouions à la pétanque, riions à en pleurer.
Henri adorait préparer le poulet au champagne, et moi j’adorais le regarder siffler en mettant la table. » Leur amour se nourrissait de petites choses, de complicité et de rires :« J’entends encore le bruit de ses pas sur le parquet, son rire clair, et je sens sa main dans la mienne. »

Catherine rencontre Henri en 1995. Elle hésite d’abord — quarante ans les séparent. « Ce n’était pas mon genre », confie-t-elle, « mais quand j’ai dit oui, tout est devenu évident. Henri était l’homme de ma vie. »Avec la sortie de l’album « Chambre avec vue » en 2000, Henri, octogénaire, connaît un retour triomphal. « Jardin d’hiver », écrit par Keren Ann et Benjamin Biolay, devient un hymne de tendresse. Catherine l’accompagne dans les tournées, les plateaux, les interviews – une période aussi épuisante que merveilleuse.
Après sa mort, elle fonde la société Salves d’Or pour préserver et faire vivre son héritage musical. Dans le petit studio où il travaillait encore, des dizaines d’enregistrements inédits attendent d’être révélés.« Il avait écrit une chanson pour Cannes, je l’ai offerte à la ville quand ils l’ont nommé Homme de l’année. Mais vivre avec la présence d’Henri au quotidien est difficile : certains jours sont lumineux, d’autres étouffants de douleur. »


Henri Salvador restera pour toujours le symbole de la joie de vivre. Il aimait parier, jouer aux cartes, et lorsqu’il gagnait gros, il s’offrait une Jaguar. « Il disait souvent : Aujourd’hui, ce sera notre jour de chance ! Et il entraînait tout le monde pour chanter, rire, manger, célébrer la vie. »Catherine avoue avoir appris de lui une philosophie essentielle :« Vivre pour demain, savourer chaque instant, et ne jamais laisser la douleur gagner. »
En septembre 2001, le couple se trouve aux États-Unis lors des attentats du 11 septembre. « Henri a été bouleversé en voyant les tours s’effondrer », raconte Catherine. « Pour la première fois, je l’ai vu avoir peur. »
C’est ce jour-là qu’il lui propose de l’épouser.« Il m’a dit : Quand on aime une femme, on l’habille de son nom. »Ils se marient peu après et ne se quitteront plus. Henri s’éteint dans ses bras, victime d’une rupture d’anévrisme, à l’âge de 90 ans. « Il est parti comme il a vécu, léger, paisible, presque en chantant. »
Mais la vie d’Henri Salvador ne fut pas que lumière. Derrière l’homme souriant et charmeur, se cache la douleur d’un fils, Jean-Marie Périer, qu’il a longtemps tenu à distance. Jean-Marie, élevé par l’acteur François Périer, découvre à seize ans qu’Henri Salvador est son père biologique.« Ma vie s’est arrêtée ce jour-là », dira-t-il. « J’ai compris que l’homme que j’aimais depuis toujours n’était pas mon vrai père. »
Ils se revoient dans les années 1980 à Los Angeles. Henri, maladroit, tente de briser la glace… en l’invitant à voir le film érotique Deep Throat.« Nous étions assis comme deux soldats, incapables de parler, mais au moins le mur du silence était tombé. »La relation reste fragile. Quand Jean-Marie devient père, Henri manifeste le désir de rencontrer ses petits-enfants, puis disparaît sans prévenir.« Il a blessé mes enfants, et je ne lui ai jamais pardonné », confie-t-il.

Cette douleur le pousse à suivre une thérapie et à écrire son livre « Enfant gâté ».« J’aurais préféré ne jamais connaître la vérité. C’était un grand artiste, mais un père défaillant. À cause de lui, j’ai renoncé à la musique. »

Jean-Marie admet qu’en le voyant chanter à l’Alhambra, il a compris qu’il ne pourrait jamais sortir de son ombre.« Il brillait tellement que je me suis éteint. Ce soir-là, j’ai refermé définitivement le couvercle de mon piano. »Il devient ensuite photographe pour Salut les Copains, immortalisant Françoise Hardy, Michel Berger, Paul McCartney et tant d’autres.
Lors de la mort de François Périer, il confie :« C’était lui, mon vrai père. Pas par le sang, mais par l’amour et la présence. Il m’a donné une image à laquelle je veux ressembler. »
La vie d’Henri Salvador fut une partition à plusieurs tonalités : joyeuse et mélancolique, tendre et amère. Il a fait rire des générations d’enfants, séduit les femmes avec sa voix de velours, et réinventé la chanson française à un âge où d’autres songent à la retraite.Mais derrière le grand-père bienveillant se cachait un homme complexe – passionné et maladroit, généreux et blessant à la fois.
Aujourd’hui, Catherine vit toujours dans leur appartement de la Place Vendôme, entourée de souvenirs.« Je le sens encore ici », murmure-t-elle. « Sa joie de vivre ne s’est jamais éteinte. Il suffit d’entendre une de ses chansons pour croire qu’il vient de me sourire. »
Henri Salvador, lui qui chantait « Le bonheur, c’est simple comme une chanson », avait sans doute raison.Le bonheur est simple.Mais parfois, celui qui le chante est le seul à ne jamais le trouver.


































Commentaires