Bourvil : 55 ans après sa disparition, la maison perchée de Montainville murmure encore la douceur d’un homme inoubliable
- Pierre Howard

- 16 nov.
- 4 min de lecture
Bourvil et la maison sur la colline de Montainville : là où se réfugiait une âme douce
Quiconque a déjà fredonné Le Bal Perdu ou ri aux larmes devant son ingénuité mythique dans Le Corniaud comprend facilement que Bourvil était un homme né pour offrir des sourires. Pourtant, derrière les projecteurs éclatants des plateaux de tournage et l’enthousiasme des salles de spectacle, il existait une autre porte — une porte donnant sur un jardin, un vent léger venu de la vallée et une simplicité que seule la campagne pouvait lui offrir. Cette porte se trouvait à Montainville, un petit village des Yvelines où Bourvil avait choisi de poser enfin son cœur.
En 1955, alors que toute la France fredonnait ses chansons comiques et que sa carrière au théâtre comme au cinéma prenait un nouvel élan, Bourvil découvrit une maison blanche, suspendue au-dessus de la vallée de la Mauldre. Montainville comptait à peine quelques centaines d’habitants, un lieu où le temps semblait ralentir.

La maison n’avait rien de luxueux. Pas de portail majestueux, pas de façade impressionnante. Mais elle possédait tout ce que Bourvil recherchait : la tranquillité, la respiration, et l’espace nécessaire pour retrouver l’essentiel après les tournages épuisants. Il confia un jour à un proche qu’en apercevant la maison, il avait senti « son cœur battre plus doucement ». C’était l’endroit où il pouvait redevenir André Raimbourg, l’homme, loin du personnage Bourvil.
À seulement 37 kilomètres de Paris, Montainville représentait la distance idéale : assez près pour poursuivre sa carrière, assez loin pour retrouver son calme.
Perchée au-dessus de la vallée, la maison bénéficiait d’un panorama exceptionnel. Les habitants du village se rappellent encore de la silhouette de Bourvil sur sa terrasse, les mains dans les poches, observant l’horizon comme un paysan normand scrutant la météo du matin.

Dans son jardin, il plantait des arbres — beaucoup d’arbres. Des essences de Normandie, mais aussi celles découvertes au fil de ses tournages. Il disait souvent :
« Chaque arbre est un ami. Ils ne me dérangent jamais. »
Les voisins l’ont vu travailler la terre lui-même. Pas de jardiniers, pas d’ouvriers. Une fois, un habitant lui proposa son aide ; Bourvil répondit en riant :
« Sur scène je fais rire, mais ici je suis juste un homme qui aime la terre. »
Là, entre ses massifs de fleurs et le linge blanc que Jeanne, son épouse, faisait sécher au vent, Bourvil retrouvait une vie simple et lumineuse — loin du tumulte parisien.
Montainville a toujours été un refuge très intime. Malgré sa notoriété grandissante, Bourvil refusait les visites nombreuses. Seules quelques figures très proches avaient le privilège d’être invitées dans cette maison : Gérard Oury, Louis de Funès, Jean-Paul Belmondo ou encore Georges Brassens. Ils se retrouvaient dans la cour, autour d’un verre de cidre, parlant de la vie comme des hommes ordinaires. Aucun ego, aucune compétition.
Danièle Thompson, fille de Gérard Oury, confia un jour :
« Il était le seul artiste célèbre qui n’a jamais oublié d’où il venait. »
Pour ses collègues, Bourvil était un homme droit, tendre, incapable de méchanceté. Toujours souriant, même lorsqu’il était fatigué. Toujours modeste, même lorsqu’il tournait les plus grands succès du cinéma français. On disait de lui qu’il avait l’âme d’un paysan normand : solide, humble, profondément humain.

Montainville était son refuge, mais la Normandie restait sa source de vie. Il aimait tellement sa région qu’il choisit son nom de scène en hommage à son village : Bourville.
Chaque été, il y retournait avec Jeanne et leurs deux fils, Dominique et Philippe. À St-Aubin-sur-Mer, ils devenaient une famille comme les autres, marchant sur la plage sans que personne n’imagine qu’il s’agissait d’une légende du cinéma.
Ses enfants diront plus tard :
« Il était l’homme le plus célèbre… mais aussi le plus simple que nous ayons connu. »
Lorsque la maison de Montainville entra dans sa vie, Bourvil vivait l’une des périodes les plus brillantes de sa carrière. Il triomphait dans les opérettes, enchaînait les chansons pleines d’humour et tournait les plus grands films de son époque :
La Traversée de Paris
Le Corniaud
La Grande Vadrouille
et plus de cinquante autres.
Mais plus le succès grandissait, plus Bourvil s’attachait à revenir dans son havre de paix. Pour beaucoup, Montainville n’était pas seulement une résidence secondaire : c’était le lieu qui l’empêchait de se perdre dans les illusions de la célébrité.

En 1970, le myélome multiple l’emporta à l’âge de 53 ans. La France entière fut endeuillée. Les journaux, les radios, les voisins… tout le monde parla de la perte d’un homme “bon” — un mot simple, mais celui qui le décrivait le mieux.
Il choisit Montainville pour son dernier repos. Sa tombe, humble et fleurie, attire encore aujourd’hui des admirateurs de tous âges. On dit souvent dans le village qu’il n’existe pas une semaine sans que quelqu’un vienne lui rendre hommage.
La maison, elle, reste entre les mains de son fils Philippe. Rien n’a été transformé au point de briser l’âme du lieu. On y retrouve encore l’esprit de Bourvil : des photos anciennes, un instrument oublié, les arbres qu’il a plantés de ses propres mains.
Ce n’est pas une demeure de star. Ce n’est pas un manoir ni un château.Mais la maison de Montainville est devenue un lieu de mémoire. Elle raconte l’histoire d’un artiste qui a fait rire la France entière sans jamais trahir sa nature profonde.
Elle raconte l’histoire d’un homme qui préférait un après-midi à jardiner plutôt qu’une soirée mondaine.D’un génie comique, mais d’un cœur incroyablement doux. D’un mythe du cinéma, mais d’une âme restée intacte, simple, humaine.
Et peut-être que c’est précisément cela qui fait de cette maison un endroit unique :un lieu petit par sa taille, mais immense par l’émotion qu’il porte.

















































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