“Elle ramenait tout à elle” : Serge Lama se confie, plus de quarante ans après, sur l’ombre persistante de sa mère
- Pierre Howard

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À 82 ans, Serge Lama continue de regarder son passé avec une lucidité désarmante. Plus de quarante ans après la disparition de ses parents, le chanteur accepte aujourd’hui de poser des mots sur une enfance marquée par la dureté, les silences et une relation complexe avec sa mère. Dans un entretien accordé à La Tribune dimanche ce 14 décembre, l’artiste se livre sans détour sur l’emprise qu’elle a exercée sur sa famille, laissant derrière elle des traces profondes, encore sensibles.
La vie de Serge Lama a été jalonnée d’épreuves. Le 14 décembre 1984 reste une date gravée à jamais dans sa mémoire : ce jour-là, ses parents sont victimes d’un grave accident de voiture. Son père perd la vie immédiatement, tandis que sa mère succombe à ses blessures quelques mois plus tard. À cette époque, Serge Lama est en pleine représentation de sa comédie musicale Napoléon, porté par le succès mais traversé par une douleur intime immense. Trois ans auparavant, il confiait déjà à Soirmag : "Mes parents sont morts tous les deux dans un accident de voiture, à un moment où j’étais moi-même sur scène, comme si la vie me rappelait brutalement d’où je venais."

Ce drame familial fait écho à un autre accident survenu en 1965, qui a bien failli lui coûter la vie. Gravement blessé, Serge Lama perd alors sa fiancée, Liliane Benelli, pianiste et proche collaboratrice de Barbara. Longtemps hospitalisé, soumis à de nombreuses interventions chirurgicales, il reste alité près d’un an. Mais, comme il le reconnaît aujourd’hui, ses blessures les plus anciennes ne sont pas uniquement physiques. Elles prennent racine bien plus tôt, dans les années de son enfance.
Né dans un climat familial tendu, Serge Lama grandit sous l’influence d’une mère, Georgette, dont la présence s’impose avec une force écrasante. Dans son récent témoignage, il revient sur cette figure maternelle qu’il décrit comme envahissante et jalouse. "Elle ramenait tout à elle, tout le temps", confie-t-il. Une attitude qui a profondément affecté son père, ancien chanteur d’opérette contraint d’abandonner sa carrière. "C’est ma mère qui l’a poussé à tout arrêter, alors qu’il aurait pu gagner sa vie avec les tournées. Elle était jalouse de tout, surtout des femmes", raconte Serge Lama avec une franchise troublante.
Le souvenir de son père, obligé de vendre de la bière en plein hiver 1954, transi de froid sur son Solex, reste gravé dans sa mémoire. Face à cette injustice, le jeune Serge, alors âgé de 11 ans, commence à écrire. C’est aussi à cet âge qu’il prend une décision lourde de sens : encourager son père à quitter sa mère. "Je lui disais : ‘Quitte-la ! On s’en sortira tous les deux !’", se souvient-il. Ce moment marque un tournant. Serge Lama se fait alors une promesse intime : réussir pour venger son père, pour lui offrir symboliquement ce qu’il n’a jamais pu avoir.
Mais la relation avec sa mère ne s’adoucit pas avec le temps. Bien au contraire. Dans le petit logement parisien où ils vivent, Serge Lama est témoin de disputes incessantes. "J’entendais leurs querelles à travers les murs. J’ai grandi trop vite", confie-t-il. Même après être devenu célèbre, l’artiste ne trouve pas de répit. Sa mère vient un jour le voir dans sa loge et lui lance cette phrase qui le marquera durablement : "Tu devrais être content : sans nous, tu n’aurais pas écrit Les Ballons rouges." Pour elle, cette remarque n’est pas une attaque, mais une manière de revendiquer sa place dans la réussite de son fils.

Les paroles blessantes ne s’arrêtent pas là. Avant la naissance de Serge Lama, sa mère avait perdu un premier enfant. Un drame qu’elle n’a jamais vraiment dépassé. "Elle me répétait sans cesse : ‘Lui au moins, il aurait été merveilleux !’", raconte le chanteur. Une comparaison constante, douloureuse, qui installe chez l’enfant un sentiment d’insuffisance et de culpabilité silencieuse.
Ce n’est que bien plus tard, à la suite du décès de sa fiancée, que Serge Lama prend pleinement conscience de l’emprise maternelle. "Depuis l’enfance, une acrimonie silencieuse saignait en moi. L’accident n’a fait que tout révéler", explique-t-il. Lorsqu’elle lui rend visite à l’hôpital et le surprend plaisantant avec les infirmières, elle lâche une phrase qui résonne encore aujourd’hui : "Même ici, on me vole mon fils." Pour Serge Lama, ces mots agissent comme un électrochoc. Ils mettent en lumière une relation fondée sur la possession plus que sur l’amour.
Aujourd’hui, avec le recul des années, Serge Lama ne cherche ni à accuser ni à régler des comptes. Il raconte, simplement, avec pudeur et honnêteté. Son témoignage révèle un homme profondément humain, façonné autant par les blessures que par la résilience. En mettant des mots sur cette histoire intime, il offre aussi à ses lecteurs une réflexion universelle sur les liens familiaux, leurs complexités et les cicatrices invisibles qu’ils peuvent laisser.

















































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