Florent Pagny, quarante ans de c@-nna-bi$ et une trace irréversible : un aveu lucide, sans détour
- Pierre Howard

- il y a 7 jours
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Figure incontournable de la chanson française, Florent Pagny n’a jamais cultivé l’art du non-dit. Depuis ses débuts, l’artiste s’est toujours raconté avec une franchise rare, quitte à déranger, à surprendre ou à aller à contre-courant. Sa voix puissante, son regard droit et son rapport très libre à la vie ont forgé une image singulière, celle d’un homme qui assume ses choix, ses excès, ses convictions. Parmi eux, une consommation de cannabis qui a accompagné une grande partie de son existence, pendant près de quarante ans, et dont il reconnaît aujourd’hui certains effets irréversibles.
Invité il y a quelques mois dans le podcast "Addiktion", Florent Pagny est revenu sans détour sur cette longue période de sa vie. Avec un sourire presque amusé, il évoquait une époque où sa consommation était si évidente qu’elle précédait parfois même sa présence physique : "On me sentait avant de me voir !" Une phrase lancée sans fard, à l’image de l’homme qu’il est, mais qui ouvre aussi la porte à une réflexion plus profonde sur les conséquences d’un usage prolongé. Car si le chanteur n’a jamais cherché à se donner une image lisse, il n’a jamais nié non plus que certaines habitudes laissent des traces, parfois durables.

Le cannabis, rappelle-t-il lui-même, reste une drogue, et à ce titre, il peut entraîner des effets négatifs sur la santé. Parmi ceux qu’il reconnaît aujourd’hui sans détour, les troubles de la mémoire occupent une place centrale. Un problème qui ne relève pas de l’anecdote et qui a profondément modifié sa manière de travailler, notamment sur scène. Florent Pagny explique ainsi avoir été confronté, assez tôt, à des ruptures de mémoire suffisamment importantes pour l’obliger à adapter ses performances : "Très tôt, le cannabis peut m’avoir créé des ruptures de mémoire, ce qui fait qu’en effet, je ne peux pas chanter sans mes prompteurs, parce que je peux vraiment avoir des trous et c’est très désagréable pour tout le monde. Donc pour éviter, tu mets les prompteurs."
Un aveu rare dans le milieu artistique, où l’on préfère souvent masquer les fragilités derrière la maîtrise et l’illusion du contrôle. Chez Pagny, au contraire, cette reconnaissance n’a rien d’une faiblesse. Elle s’inscrit dans une forme de lucidité apaisée : accepter ce qui est, composer avec, continuer malgré tout. Les prompteurs ne sont pas un aveu d’échec, mais un outil, une adaptation nécessaire pour continuer à offrir au public ce qu’il attend : une voix, une émotion, une présence.
Pour autant, Florent Pagny refuse d’établir un lien direct entre ces décennies de consommation et le cancer du poumon qui l’a frappé il y a maintenant plus de trois ans. Sur ce point précis, l’artiste se montre beaucoup plus réservé, presque ferme. Interrogé sur une éventuelle relation de cause à effet, il répond sans hésitation : "Je ne pense pas. Pour moi 40 ans de fumette ça laisse des traces s’il doit y avoir des traces, pas une tumeur, et je n’ai pas ces traces-là." Une position assumée, qui ne nie pas l’usure du temps mais qui refuse de réduire la maladie à un seul facteur extérieur.
Il poursuit sa réflexion en élargissant le propos au vieillissement naturel du corps : "Après ton âge impacte tout. Tes cellules se réduisent, d’un coup ta vue se réduit, elle change, etc. Je ne peux pas dire que c’est la conséquence d’un produit extérieur." Pour Florent Pagny, le temps, l’âge et les transformations biologiques jouent un rôle essentiel, et il se garde bien d’une explication simpliste. Une manière de rappeler que le corps humain est un ensemble complexe, soumis à de multiples influences, parfois impossibles à isoler ou à hiérarchiser avec certitude.

Paradoxalement, c’est aussi le cannabis, sous une autre forme, qui l’a accompagné durant sa maladie. Toujours fidèle au THC, mais contraint par son état de santé, l’artiste a abandonné la fumée pour des dérivés sous forme de gélules. Un choix pragmatique, dicté par la nécessité, et qui, selon lui, lui a apporté un réel soulagement pendant les traitements. Dans le même podcast, il racontait avec précision les effets bénéfiques qu’il a ressentis : "Cet ajout qui mélange les sensations et qui t’emmène un peu ailleurs, qui te soulage et enlève beaucoup de douleurs et qui t’ouvre l’appétit alors que normalement la chimio te l’enlève, et te fait dormir."
Florent Pagny va plus loin encore, évoquant le regard parfois incrédule des soignants face à sa manière de vivre la maladie : "On vous parle d’une plante qui pousse au soleil et qui a des vertus. Ils me regardaient tous et ne comprenaient pas vraiment comment je vivais tout ça aussi positivement." Pour lui, ce recours a été déterminant, non seulement pour supporter les traitements, mais aussi pour rester actif, créatif, présent à lui-même et aux autres. "C’est ce qui m’a permis de continuer d’être en activité", confie-t-il simplement.
À travers ces confidences, Florent Pagny ne cherche ni à faire l’apologie d’un produit, ni à nier ses effets délétères. Il livre un témoignage nuancé, profondément personnel, à l’image de son parcours. Il parle d’une consommation qui laisse des traces, parfois irréversibles, mais aussi d’une plante qui, dans un autre contexte, a pu devenir un soutien. Un récit sans filtre, loin des discours manichéens, fidèle à un artiste qui, depuis toujours, préfère la vérité à la posture.

















































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