Good Fortune : Aziz Ansari signe une comédie sociale hilarante avec Seth Rogen et Keanu Reeves
- Pierre Howard

- 10 sept.
- 4 min de lecture
Présenté en Gala au Festival international du film de Toronto 2025, Good Fortune a fait salle comble et déclenché de véritables éclats de rire. Le film marque les débuts de réalisateur d’Aziz Ansari, qui écrit, met en scène et interprète le rôle principal, offrant une comédie à la fois légère et ancrée dans les réalités sociales de l’Amérique contemporaine.
Le point de départ de Good Fortune est à la fois simple et intemporel : Arj (Aziz Ansari), jeune homme piégé dans l’économie des petits boulots à Los Angeles, accumule les galères. Tour à tour chauffeur, vendeur ou livreur, il rêve de percer dans le monde du spectacle, mais sa vie se réduit à survivre jour après jour. Son existence bascule lorsqu’il croise Jeff (Seth Rogen), magnat de la tech richissime, installé dans sa villa ultramoderne de Bel Air où il passe ses journées à programmer des retraites chamaniques et à organiser son garage climatisé. Fasciné par ce mode de vie démesuré, Arj parvient à se faire engager comme assistant, le temps d’un essai.

L’expérience semble prometteuse jusqu’à ce qu’il commette une erreur fatale : utiliser la carte bancaire de Jeff pour inviter sa petite amie Elena (Keke Palmer) à un dîner hors de prix. Renvoyé aussitôt, Arj retombe dans sa spirale de malchance, dormant dans sa voiture. C’est alors qu’intervient Gabriel (Keanu Reeves), ange stagiaire maladroit chargé de prouver que « l’argent ne fait pas le bonheur ». Convaincu qu’il peut transformer Arj, Gabriel décide d’échanger sa vie avec celle de Jeff.
Soudain, Arj goûte aux joies du luxe absolu tandis que Jeff se retrouve à faire des livraisons et à gérer des tâches subalternes. Le renversement est irrésistible : l’un savoure les plaisirs du pouvoir et de l’argent, l’autre découvre l’humiliation et la précarité. Mais selon les règles célestes, Arj ne peut garder sa nouvelle vie que s’il choisit librement d’y rester. Plus l’expérience avance, plus il se rend compte que l’argent achète beaucoup de choses, mais pas forcément la sérénité.

Le film emprunte ouvertement à des classiques comme Heaven Can Wait ou Trading Places, tout en assumant une veine plus satirique à la Preston Sturges. Ansari insuffle dans cette comédie un véritable sous-texte social, explorant l’écart vertigineux entre les « haves » et les « have-nots » de la société américaine. Les scènes montrant Arj dans son quotidien de livreur, ou Elena jonglant entre plusieurs emplois, apportent une gravité inattendue au milieu des gags.
Cet équilibre entre humour et critique sociale n’est pas toujours parfaitement dosé : parfois, le film s’arrête pour marteler son message, ce qui casse le rythme. Mais Ansari assume ce mélange, convaincu qu’une comédie peut aussi éveiller les consciences.

Côté interprétation, la distribution se révèle savoureuse. Ansari, dans le rôle d’Arj, fait preuve d’un timing comique remarquable, héritier d’Eddie Murphy dans ses meilleures années. Seth Rogen joue à contre-emploi, incarnant un milliardaire un peu benêt, plus préoccupé par son jacuzzi que par son entreprise. Keanu Reeves, irrésistible en ange maladroit, retrouve une veine comique qu’on ne lui avait pas vue depuis Bill & Ted. Son air sérieux face à des situations absurdes déclenche systématiquement le rire. Sandra Oh, en supérieure céleste exaspérée par les erreurs de Gabriel, ajoute une touche d’autorité désopilante. Quant à Keke Palmer, elle apporte une sincérité bienvenue dans le rôle d’Elena, ancrant l’histoire dans une réalité émotionnelle.
Visuellement, Good Fortune exploite avec intelligence le contraste entre deux univers : d’un côté la villa clinquante de Jeff, filmée comme un personnage à part entière grâce aux décors imaginés par Kay Lee ; de l’autre les quartiers modestes de Los Angeles, captés avec réalisme par la caméra d’Adam Newport-Berra. Ce contraste visuel souligne l’opposition centrale du récit.

Le film n’a pas échappé à un parcours mouvementé avant d’arriver à Toronto : tournage interrompu par les grèves, projets annulés… Pourtant, Ansari a tenu bon, prouvant qu’il pouvait transposer sur grand écran l’humour et la sensibilité qui avaient fait le succès de Master of None. Sa mise en scène reste simple, privilégiant les acteurs et les dialogues, mais elle trouve une fluidité bienvenue, notamment dans les séquences de bascule entre les deux vies.
Ce qui distingue Good Fortune d’autres comédies hollywoodiennes, c’est son désir d’aborder de front les réalités économiques actuelles. Derrière les quiproquos et les éclats de rire, Ansari met en lumière la précarité grandissante, les sacrifices imposés aux travailleurs et l’illusion du rêve américain. Sans prétendre offrir de solution, il rappelle que le fossé entre richesse et pauvreté n’a jamais été aussi visible.
L’accueil à Toronto a été chaleureux. La salle riait aux éclats, portée par l’énergie communicative du casting et le ton résolument optimiste du film. Certains critiques ont souligné la lourdeur de la dimension didactique, mais la majorité s’accorde sur la fraîcheur et l’efficacité de cette comédie, qui réussit à faire réfléchir tout en divertissant.
Avec Good Fortune, Aziz Ansari livre un premier long métrage ambitieux et généreux. Mélange de satire sociale et de comédie fantastique, le film rappelle que le rire peut être une arme douce mais puissante pour interroger notre époque.


































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