Georges Brassens : Sans femme, sans enfant — et une guerre d’héritage qui n’en finit plus
- Auriane Laurent

- il y a 6 jours
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Georges Brassens : Sans femme, sans enfant — et une guerre d’héritage qui n’en finit plus
Ce 22 octobre 2025, la France célèbre le 104ᵉ anniversaire de Georges Brassens, né à Sète en 1921. Plus de quarante-trois ans après sa disparition, la voix rocailleuse du poète-chanteur résonne encore sur les places, dans les cafés et sur les ondes. Avec sa guitare en bandoulière et son franc-parler, il a su incarner l’esprit français : libre, frondeur, lucide et profondément humain.
Mais derrière les mélodies immortelles de Les Copains d’abord, La Mauvaise Réputation ou Chanson pour l’Auvergnat se cache une autre partition, beaucoup moins harmonieuse : celle d’une bataille d’héritage interminable, faite de procès, d’inventaires manquants et de querelles de mémoire.

Né dans une famille modeste de Sète, Brassens s’est très tôt rebellé contre les conventions. Poète avant tout, il ne croyait ni au mariage ni aux institutions qui enferment les sentiments. Sa vie amoureuse avec Jeanne Planche, puis avec Joha Heiman, en fut la preuve vivante : il aimait sincèrement, mais sans bague ni contrat. De cette philosophie naîtra la célèbre Non-demande en mariage, véritable hymne à l’amour affranchi des contraintes sociales.
Lorsqu’il meurt en 1981, Brassens ne laisse ni épouse ni descendance. Une conséquence logique pour celui qui avait toujours revendiqué sa liberté — mais un casse-tête juridique pour son patrimoine, immense et mal délimité.
Son dernier testament, daté du 21 janvier 1981, lègue l’ensemble de ses biens — droits d’auteur, droit moral et patrimoine immobilier — à sa sœur Simone. Au décès de celle-ci, en 1994, son fils Serge Cazzani devient l’unique héritier.
Tout aurait pu s’arrêter là. Mais la mort du poète n’a pas fait taire les passions. En octobre 2022, la maison de ventes Hôtel Drouot annonce une enchère exceptionnelle : 404 objets ayant appartenu à Georges Brassens — costumes de scène, pipes, lettres manuscrites, partitions et esquisses inédites. Mise à prix globale 600.000 €. Les admirateurs se réjouissent, croyant revivre un peu de son univers.
Jusqu’à ce que, deux jours avant la vente, la justice suspende tout. Et le conflit éclate.

D’un côté, Serge Cazzani, le neveu, gardien autoproclamé de l’œuvre et de l’esprit de son oncle. Pour lui, ces objets font partie du patrimoine de Georges Brassens et devraient être confiés à une institution publique — idéalement à la ville de Sète, pour enrichir l’Espace Georges-Brassens, ce lieu de pèlerinage ouvert depuis 1991.
De l’autre, Françoise Onténiente, fille de Pierre “Gibraltar” Onténiente, le secrétaire et ami intime de Brassens. Dans les années 1960, Brassens lui avait offert une maison à Paris. Au fil des ans, nombre d’objets du chanteur y ont été conservés. Après la mort de son père, Françoise Onténiente a considéré ces pièces comme faisant partie de l’héritage familial, et a voulu les vendre.
Serge Cazzani, lui, y voit une trahison. Pour lui, ces objets n’ont jamais cessé d’appartenir à Georges Brassens — et leur dispersion serait un sacrilège.

Le nœud du problème, c’est qu’aucun inventaire n’a été établi à la mort du chanteur, en 1981. Impossible donc de déterminer quels objets lui appartenaient encore, lesquels avaient été prêtés ou donnés.
La famille Onténiente soutient que ces effets étaient chez eux bien avant le décès de Brassens. Les Cazzani répliquent qu’ils relèvent du patrimoine du poète, quoi qu’il en soit.
Et pour compliquer le tout, la mairie de Sète s’est invitée dans le débat, se disant prête à racheter la collection pour la présenter au public.
Chaque année, entre 50.000 et 80.000 personnes se recueillent sur la tombe de Brassens, au cimetière Le Py, tout près de la plage de la Corniche — celle qu’il évoquait dans Supplique pour être enterré à la plage de Sète.
Le 17 janvier 2024, le tribunal judiciaire de Paris s’est réuni pour trancher. Les juges ont ordonné le séquestre des 404 objets, et lancé un long processus d’expertise pour en déterminer la provenance exacte.
L’affaire pourrait durer jusqu’à fin 2025, voire 2026. Aucune victoire nette pour aucun des deux camps. Juste un constat : « Cela peut durer des années », confie un proche de la famille Cazzani au site Purepeople.

Cette querelle, aussi juridique soit-elle, résonne étrangement avec l’esprit des chansons de Brassens : ironique, tendre et profondément humain. L’homme qui chantait La Mauvaise Réputation — “Je n’fais pourtant de tort à personne…” — est aujourd’hui au centre d’une bataille où chacun prétend défendre son nom et son image.
S’il était encore parmi nous, sans doute en aurait-il ri. Peut-être aurait-il écrit une nouvelle chanson, moquant les notaires, les juges et les héritiers zélés, avec ce ton à la fois caustique et bienveillant qui n’appartenait qu’à lui.
Car, au fond, le vrai héritage de Georges Brassens ne se trouve pas dans ces 404 objets. Il est dans les mots qu’on fredonne encore, dans la liberté qu’il a léguée à la chanson française, dans la sagesse malicieuse qu’il a instillée dans les cœurs.
Et qu’importe le verdict, car tant qu’on chantera Les Copains d’abord, Brassens, lui, ne sera jamais vraiment mort.


































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