Laurent Nuñez brise le silence: 700.000 sans-papiers en France, un chiffre qui relance le débat sur le contrôle migratoire
- Auriane Laurent

- il y a 5 jours
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Avant même que le ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez, ne rende publique son estimation du nombre d’étrangers vivant en situation irrégulière en France, une vive polémique avait éclaté sur la scène politique. À l’origine : une demande insistante du président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, réclamant de la « transparence ».
Ce qui, au départ, semblait être une simple question de chiffres, s’est rapidement transformé en un débat national sur la politique migratoire, la capacité de l’État à contrôler ses frontières et, plus largement, sur la maîtrise qu’exerce encore le gouvernement français sur son propre territoire.

Au début de la semaine, interrogé sur LCI, Laurent Nuñez avait soigneusement évité de répondre à la question portant sur le nombre exact de sans-papiers présents en France. Il s’était contenté d’évoquer des « estimations » et de rappeler la difficulté à établir un chiffre précis. Cette prudence a immédiatement suscité la colère de Jordan Bardella, qui a dénoncé « le refus du ministre de dire la vérité aux Français ».
Dans une lettre ouverte adressée directement à Laurent Nuñez, le président du RN a affirmé que « les Français ont le droit légitime de connaître la réalité de la politique migratoire conduite en leur nom ». Il a ajouté que cette transparence n’était pas seulement un devoir moral mais « une condition essentielle du maintien de la confiance entre gouvernants et gouvernés, du respect de l’État de droit et de la cohésion nationale ». Selon lui, refuser de communiquer un chiffre clair reviendrait à entretenir la méfiance et à alimenter les fantasmes autour de l’immigration.

Face à cette pression politique et médiatique croissante, Laurent Nuñez a finalement pris la parole. Mercredi, sur les antennes de CNews et Europe 1, il a avancé un chiffre : environ 700 000 étrangers vivraient actuellement en situation irrégulière en France, avec une marge comprise entre 600 000 et 900 000 personnes. Ce chiffre, a-t-il précisé, reste une estimation, comparable à celle évoquée par son prédécesseur Gérald Darmanin en 2021.
Cette annonce, loin d’apaiser le débat, l’a au contraire ravivé. Car derrière ce chiffre se cache une question fondamentale : la France maîtrise-t-elle encore réellement sa politique migratoire ? Pour certains observateurs, la stabilité du nombre de sans-papiers depuis plusieurs années illustre un échec structurel du système administratif et politique français. Malgré les dispositifs mis en place — contrôles renforcés, réformes de l’asile, coopération européenne —, le phénomène semble perdurer, voire s’enraciner.
D’un point de vue institutionnel, cette estimation révèle les limites de la gestion étatique. Elle met en lumière la difficulté de suivre et de régulariser des centaines de milliers de personnes vivant dans une « zone grise » : ni expulsées, ni intégrées. Cette situation engendre non seulement des tensions sociales, mais aussi une perte de crédibilité pour les autorités publiques. De nombreux citoyens y voient la preuve d’un État débordé, d’une administration inefficace et d’un système de contrôle migratoire incapable de faire respecter ses propres lois.
Sur le plan social, les répercussions sont multiples. La présence d’un grand nombre de sans-papiers exerce une pression sur les services publics — logement, santé, éducation — et alimente le sentiment d’injustice parmi les classes moyennes et populaires. Dans certains territoires déjà fragiles, cette réalité alimente le discours de peur et de repli sur soi. Le Rassemblement national s’en sert comme d’un levier politique, affirmant que « la France perd le contrôle de ses frontières et de son destin ».

Laurent Nuñez, conscient de cette tension, a tenu à nuancer. « Il y a un défi migratoire », a-t-il reconnu, évoquant « le contexte climatique et les crises économiques mondiales ». Mais il a refusé d’utiliser le terme de « submersion migratoire », estimant que ces mots « alimentent inutilement les peurs et donnent l’impression que les pouvoirs publics sont inactifs ». Une position de prudence qui vise à éviter toute surenchère verbale, mais qui est perçue par l’opposition comme un signe de faiblesse politique.
Sur le plan européen, le ministre a rappelé que la France ne pouvait pas agir seule. Les flux migratoires résultent d’un ensemble de crises — géopolitiques, économiques et environnementales — qui dépassent les frontières nationales. Il a plaidé pour un renforcement de la coopération avec les partenaires de l’Union européenne afin d’assurer un contrôle plus efficace des frontières extérieures et une meilleure répartition des responsabilités entre États membres.
Malgré cette approche mesurée, le débat reste hautement inflammable. Les partisans du RN, mais aussi certains élus de la droite traditionnelle, y voient la preuve que les gouvernements successifs ont progressivement perdu la main. Selon eux, la bureaucratie française est devenue trop lourde pour réagir, trop divisée entre les impératifs humanitaires et les exigences de sécurité. D’autres, plus modérés, estiment que la situation actuelle n’est pas le signe d’un effondrement, mais celui d’un système démocratique qui tente de concilier humanité et fermeté, dans un monde où les migrations sont désormais un phénomène structurel et global.
En réalité, cette controverse dépasse largement la seule question des chiffres. Elle interroge la crédibilité de l’État, la capacité du gouvernement à faire respecter la loi, et la confiance que les citoyens accordent encore à leurs institutions. Quand un ministre de l’Intérieur avoue que le nombre de sans-papiers est estimé entre 600.000 et 900.000, cela traduit une forme d’impuissance administrative : une reconnaissance implicite des limites du contrôle étatique.
Certains analystes y voient un tournant symbolique : celui d’une France consciente de ses fragilités internes, où la promesse républicaine de maîtrise et d’ordre peine à s’imposer face à la complexité du réel. D’autres rappellent que ce n’est pas tant une question de « perte de contrôle » qu’un problème de gouvernance à plusieurs niveaux — local, national et européen —, dans un contexte où les politiques migratoires doivent conjuguer droit, humanité et efficacité.ư

Quoi qu’il en soit, le chiffre de 700 000 sans-papiers a agi comme un révélateur. Révélateur d’un malaise profond entre les citoyens et l’État. Révélateur aussi d’une fracture politique grandissante entre ceux qui réclament une fermeté absolue et ceux qui défendent une approche plus humaniste et pragmatique.
En conclusion, cette estimation ne se résume pas à un simple constat statistique. Elle est le miroir d’une société française partagée entre inquiétude et responsabilité, entre peur du déclin et attachement à ses valeurs. Elle met en évidence les défis colossaux auxquels l’État doit faire face — contrôler ses frontières, protéger ses citoyens, mais aussi préserver son identité humaniste.
La question qui reste en suspens est alors celle-ci : la France a-t-elle véritablement perdu le contrôle, ou tente-t-elle simplement de réinventer la manière de l’exercer ? Laurent Nuñez, en refusant les mots trop forts mais en assumant les chiffres, semble avoir choisi la seconde voie. Reste à savoir si l’opinion publique acceptera cette nuance — dans un climat politique où chaque mot, chaque chiffre, et chaque silence, pèse désormais plus lourd que jamais.


































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