Ça sent très mauvais pour Paris : l’alliance Macron–Zelensky affole déjà l’opinion
- Pierre Howard

- 17 nov.
- 6 min de lecture
Dans un contexte où la guerre entre la Russie et l’Ukraine entre dans sa troisième année avec une série d’évolutions imprévisibles, Paris réaffirme une fois de plus son statut d’allié de premier plan et indéfectible de Kiev. Le soutien “durable et inébranlable” – selon les mots de la ministre française des Armées, Catherine Vautrin – ne relève plus seulement de la rhétorique diplomatique : il se concrétise désormais par de nouveaux paquets d’aide militaire, des accords stratégiques de long terme et une série de décisions capables de remodeler l’architecture de sécurité du continent européen.

Lors de la conférence de presse conjointe à Berlin le 14 novembre, Mme Vautrin a rappelé qu’il était essentiel de comprendre que l’Ukraine “reste en première ligne”, et que cette réalité impose à l’Europe une responsabilité que rien ne saurait alléger. Paris martèle une position sans ambiguïté : Kiev sera soutenu “aussi longtemps que nécessaire”.
Pour la France, il ne s’agit plus simplement d’une obligation politique, mais bien d’un impératif sécuritaire continental. “La défense de l’Ukraine fait partie intégrante de la sécurité de l’Europe”, affirme-t-elle, appelant à redoubler d’efforts pour combler les failles des sanctions, notamment celles permettant à la “flotte obscure” d’assurer à Moscou des revenus pétroliers considérables malgré les restrictions européennes.
La fermeté de Paris sur la question pétrolière – pilier financier de l’effort de guerre russe – ne fait que s’intensifier alors que l’Élysée juge indispensable d’affaiblir durablement la capacité de Moscou à financer le conflit. C’est dans ce climat tendu que s’inscrit la neuvième visite du président Volodymyr Zelensky à Paris depuis 2022, une étape symbolique qui, au-delà du rappel de la solidarité entre les deux pays, vise à renforcer une coopération militaire d’une ampleur inédite.
Selon l’Élysée, M. Zelensky est attendu à Paris le 17 novembre, quelques semaines après la réunion de la coalition dite des “Alliés prêts”, conduite par la France et le Royaume-Uni. Et cette fois, les attentes sont élevées : Paris et Kiev s’apprêtent à finaliser un accord jugé “historique”, centré sur le renforcement de la défense aérienne, de l’aviation de combat et des capacités de missiles – l’ossature militaire dont l’Ukraine a besoin pour contrer les attaques massives de drones et de missiles russes.

Depuis plusieurs semaines, Paris étudie la possibilité de livrer un nouveau système SAMP/T accompagné de missiles Aster 30, ainsi qu’un soutien accru autour des avions de combat Mirage. Mais d’après des sources citées par Reuters, les ambitions communes vont encore plus loin : un accord stratégique d’une durée de dix ans dans le domaine aéronautique militaire, incluant potentiellement la livraison d’avions Rafale – fleuron de l’industrie de défense française. Si la formation des pilotes ukrainiens sur Rafale exige du temps et une logistique complexe, Kiev estime qu’il s’agit d’un investissement indispensable pour bâtir une aviation capable de rivaliser durablement avec la supériorité russe.
Parallèlement aux négociations sur l’aviation de combat, les deux pays finalisent des engagements visant à renforcer la défense en profondeur : capacités anti-drones, systèmes d’interception avancés et nouveaux partenariats industriels entre entreprises françaises et ukrainiennes. Avant la signature, M. Zelensky doit assister à une présentation de produits Dassault et à un forum consacré aux drones, destiné à élargir les opportunités de coopération technologique en fonction des besoins du front.
Si Paris et Kiev affichent une convergence intacte, l’Union européenne, elle, reste traversée par de vifs débats concernant l’utilisation des avoirs russes gelés pour financer l’effort de guerre ukrainien. Ursula von der Leyen souhaite mobiliser les fonds gelés de la Banque centrale russe en Belgique pour garantir un prêt colossal de 140 milliards d’euros en faveur de l’Ukraine – somme qui serait remboursée à condition que Moscou accepte, un jour, de payer des réparations.

Mais cette proposition se heurte désormais à l’opposition de la Belgique et de la Slovaquie, qui craignent des représailles juridiques ainsi que l’impact d’un précédent potentiellement déstabilisateur pour la finance européenne. Ces divergences, encore contenues, compliquent néanmoins les tentatives de stabilisation financière de Kiev.
Dans ce contexte européen déjà tendu, l’Ukraine est secouée par un scandale de corruption d’une ampleur spectaculaire dans le secteur de l’énergie – secteur vital et déjà fragilisé par les bombardements russes. Le Bureau national anticorruption d’Ukraine a ouvert une enquête sur des contrats passés par Energoatom, l’entreprise publique de l’énergie nucléaire, avec un préjudice estimé à 100 millions de dollars. Véritable “séisme politique”, l’affaire suscite la colère d’une population qui endure coupures d’électricité et frappes incessantes, tout en ravivant, dans les capitales européennes, la crainte que la corruption ne compromette les efforts d’aide occidentale.
En réaction, le président Zelensky a demandé la révocation du ministre de la Justice et du ministre de l’Énergie, une décision perçue comme une tentative de rassurer tant l’opinion publique que les alliés. La presse ukrainienne révèle par ailleurs qu’un homme d’affaires proche du chef de l’État serait également visé par l’enquête, ajoutant un degré supplémentaire de sensibilité politique. Lors d’un échange avec le chancelier allemand Friedrich Merz, Zelensky a promis une accélération des audits internes des entreprises publiques et un transfert intégral des résultats aux autorités compétentes – un geste destiné à préserver la confiance indispensable à la poursuite de l’aide européenne.
À l’heure où il se rend à Paris pour sécuriser des engagements militaires décisifs pour l’avenir de l’armée ukrainienne, le président Zelensky porte donc aussi un message intérieur : celui d’une Ukraine déterminée à assainir son appareil d’État, en particulier dans des secteurs stratégiques, fragilisés par la guerre. À Kiev, où nombre d’habitants ont passé des nuits entières dans le noir, l’indignation se mêle à l’espoir qu’une réponse sévère aux dérives puisse ouvrir la voie à une véritable transparence institutionnelle.
Dans ce tableau complexe, où se croisent engagements militaires d’ampleur, défis diplomatiques et turbulences internes à l’Ukraine, la France apparaît comme un pilier central. Malgré un budget contraint et un climat politique intérieur instable, Paris redouble d’efforts pour soutenir Kiev tout en renforçant la pression économique contre Moscou. L’Europe, elle, demeure face à un dilemme : partager équitablement le risque financier sans miner sa propre stabilité. Quant à l’Ukraine, elle doit prouver que le soutien gigantesque dont elle bénéficie ne sera pas gaspillé.
Tous ces enjeux convergent autour de la visite de Zelensky à Paris, qui vise à consolider un socle de soutien suffisamment solide, ambitieux et durable pour permettre à l’Ukraine non seulement de tenir face à l’offensive actuelle, mais aussi de reconstruire une architecture de défense pour les années à venir. Et de son côté, la France entend montrer que, malgré les incertitudes mondiales, sa position reste inchangée : ferme, constante et résolument aux côtés de Kiev, comme l’a réaffirmé Catherine Vautrin – “aussi longtemps qu’il le faudra”.

Cependant, tandis que le gouvernement insiste sur la nécessité stratégique de soutenir Kiev, une partie de la population française exprime une inquiétude croissante devant l’implication toujours plus profonde de Paris dans le conflit.
Dans les micro-trottoirs, les débats télévisés ou sur les réseaux sociaux, beaucoup se demandent si “prendre sur ses épaules tout le poids de l’Ukraine” ne risque pas de coûter trop cher à la France. Certains estiment même que “Macron va trop loin”, surtout dans un moment où l’inflation, la baisse du pouvoir d’achat et la pression sur le budget militaire se font sentir.
Un autre courant d’opinion redoute qu’en livrant davantage d’armes – notamment des avions de combat et des systèmes de défense aérienne – la France ne soit entraînée malgré elle dans une confrontation directe avec la Russie. “On joue avec le feu”, déclare un habitant de Paris interrogé par FranceInfo. “L’aide humanitaire, oui. Les chasseurs et les missiles, c’est autre chose. On risque de devenir une cible à notre tour.” Selon eux, il faut distinguer clairement l’aide destinée à permettre à Kiev de se défendre d’un engagement susceptible d’alimenter une escalade dangereuse pour toute l’Europe.
Les inquiétudes budgétaires s’ajoutent à ces craintes. Alors que le gouvernement doit combler un déficit persistant et réduire les dépenses dans plusieurs ministères, l’annonce de nouveaux paquets d’aide à plusieurs milliards d’euros suscite un sentiment d’abandon chez certains citoyens.
Beaucoup résument leur frustration ainsi : “On manque d’argent pour les hôpitaux, les écoles, les retraites… mais on trouve des milliards pour la défense aérienne ukrainienne ?” Un discours particulièrement présent dans les zones rurales, souvent plus critiques envers les politiques nationales.

Enfin, d’autres voix s’inquiètent que l’alignement trop marqué sur Kiev éloigne la France du rôle de médiateur diplomatique qu’elle revendiquait par le passé. Des analystes et citoyens plus modérés estiment qu’un pays doté du poids diplomatique de la France devrait conserver une position d’équilibre pour favoriser des ouvertures politiques. “Si tout le monde brandit les armes, qui restera pour négocier ?”, s’interroge un politologue de Lyon.
Il ne s’agit pas pour autant d’un rejet de l’Ukraine ou d’une quelconque sympathie pour Moscou. La grande majorité des Français compatissent sincèrement avec les souffrances du peuple ukrainien.
Mais ils redoutent que des décisions prises à l’Élysée sans prudence suffisante placent la France dans une situation périlleuse ou fassent peser un fardeau insoutenable sur la population. Une inquiétude qui, sans infléchir la ligne officielle, rappelle que le soutien à l’Ukraine n’est pas uniformément partagé dans l’opinion publique française.

















































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